DW.de: L’affaire Abliazov : Pour certains un escroc, pour d’autres un héros
© mukhtarablyazov.org 03.02.2014

Pourquoi au Kazakhstan l’activité de l’ex-banquier Moukhtar Abliazov est jugé de façon différente, et quel est l’écho de la décision concernant son extradition – c’est ce qu’explique le correspondant « DW ».

L’arrêt de la cour d’appel française d’Aix-en-Provence, statuant le 9 janvier 2014 sur l’extradition de l’ex-banquier Mukhtar Abliazov vers la Russie a été immédiatement divulgué par presque tous les services d’information sociaux-politiques au Kazakhstan. Une telle réaction n’est pas du tout surprenante. En effet pour le Kazakhstan, Moukhtar Abliazov est le type même de Gusinski, Berezovski et Khodorkovski en même temps. Pour certains il est un héros national, pour d’autres c’est un escroc et un voleur.
L’ex-businessman est devenu politicien
C’est en 2001 que Moukhtar Abliazov s’est fait connaître pour la première fois de la plupart de ses compatriotes, au moment où, comme businessman sérieux, et de concert avec le groupe dit « Jeunes-Turcs » issu de l’entourage du président Nazarbaïev, il a annoncé publiquement la création d’un nouveau mouvement politique nommé « Le choix démocratique du Kazakhstan » (CDK).

L’apparition sur la scène politique du mouvement « Le choix démocratique du Kazakhstan » a suscité une crise politique dans ce pays. Il ne s’agissait pas seulement de l’éligibilité des akims [les gouverneurs régionaux – note du traducteur] requise par le nouveau mouvement et non plus de la révélation des informations sur l’existence des fonds publics secrets. Selon les fondateurs du « CDK », Noursoultan Nazarbaïev a utilisé ces fonds à des fins personnelles. Le plus important était le fait que les postulats du « Choix démocratique du Kazakhstan » furent activement soutenus par les représentants du grand business ainsi que par de nombreux députés du parlement, même par les ministres et les gouverneurs régionaux (les akims) étant en fonction à cette époque-là.
La réaction des autorités du Kazakhstan à l’apparition du « CDK » fut brutale. Déjà en 2002 les organisateurs principaux du « Choix démocratique du Kazakhstan » - Moukhtar Abliazov et le gouverneur du district (l’akim) de Pavlodarsk, Galymzhan Zhakiyanov ont été condamnés à un long emprisonnement. Entre autre, Abliazov a reçu une peine de 6 ans de prison pour « la création d’un groupe criminel organisé et l’abus de pouvoir et de confiance alors qu’il remplissait de 1998 à 1999 la fonction de ministre de l’énergie, de l’industrie et du commerce ».

Pourtant, déjà en 2003 sur la base du décret publié personnellement par Noursoultan Nazarbaïev, Abliazov fut amnistié, il n’a cependant pas cessé de mener son activité dirigée contre les autorités du Kazakhstan. Il s’est déplacé en Russie et il est devenu le président du groupe d’investissement industriel « Eurasie » et président du conseil d’administration de la banque kazakhe « BTA », avant de commencer à financer activement, pas seulement de multiples médias indépendants au Kazakhstan, mais aussi plusieurs partis d’opposition et plusieurs mouvements politiques.

Une grosse fortune

Une nouvelle trame dans la confrontation entre Moukhtar Abliazov et les autorités du Kazakhstan est apparue en 2009, lorsque le gouvernement a pris la décision de nationaliser la banque « BTA » qui, selon les autorités, était au bord de la faillite. En réponse, Abliazov, qui n’acceptait pas  cette décision, a transféré à l’étranger entre 4 et 10 milliards de dollars américains – selon diverses estimations – via les structures qu’il dirigeait (notamment en Russie et à l’Ukraine).
Ainsi, selon l’interprétation officielle des autorités kazakhes, « il a causé un préjudice irréversible à l’économie du pays tout entier ». De plus, selon la version officielle d’Astana, suite aux « longues années d’escroqueries commises par Abliazov », les pays disposés amicalement à l’égard du Kazakhstan – la Russie et l’Ukraine – ont également beaucoup souffert. Comme l’a noté un fonctionnaire de l’administration présidentielle souhaitant rester anonyme, dans un entretien avec « DW », les réquisitions de la Russie en particulier dans l’affaire de l’extradition semblent être pleinement justifiées.

En même temps, ce fonctionnaire, répondant aux questions de „DW” a fait remarquer que pour l’instant malgré tout, il n’y a pas lieu de se prononcer avec assurance au sujet de l’extradition d’Abliazov. « Il a encore le temps de faire appel, et d’autre part la question de son extradition vers la Russie se prolonge quelque peu ». Néanmoins, le fonctionnaire de l’administration présidentielle du Kazakhstan n’a aucun doute sur le fait qu’Abliazov se retrouvera très bientôt devant le tribunal russe, et que celui-ci prononcera un jugement sévère. « Nous disposons de l’information que très rarement en France, on prend la décision de ré-examiner une affaire qui a déjà été jugée par les autorités locales. D’autant plus que le tribunal d’Aix en Provence a géré l’affaire Abliazov pendant plus de trois mois. » a ajouté le fonctionnaire d’Astany.

Le rôle d’Abliazov

Les anciens alliés d’Abliazov de l’opposition kazakhe espèrent cependant que l’extradition ne sera pas effectuée. Selon eux, étant donné les nombreux témoignages des organisations internationales des droits de l’homme, la France peut renoncer à l’extradition d’Abliazov. Si non, reste encore le tribunal de Strasbourg. Dans le même temps, les représentants de l’opposition kazakhe évaluent de différentes façons, l’évolution des événements au cas où Abliazov serait expulsé vers la Russie.

Selon la directrice et la rédactrice en chef du groupe médiatique « Respublica » Irina Petrusheva, malgré le fait que la remise d’Abliazov au Kazakhstan est peu probable, Astana peut obtenir l’autorisation de faire subir un interrogatoire à l’ex-banquier : « Ces derniers temps les services spéciaux kazakhs se comportent sur le territoire de la Russie comme s’ils étaient chez eux. Les chargés d’instruction pourront donc pénétrer dans la structure internationale et tout faire par l’intermédiaire des responsables de Moscou ».
De son côté Amirzhan Kosanov, politicien connu au Kazakhstan, n’exclut pas que le Kremlin trouve avantageux d’utiliser l’affaire Abliazov pour ses propres fins, en menaçant Astana de ne pas lui remettre le banquier tombé en disgrâce. « La politique étrangère de la Russie devient de plus en plus néo-impériale. Et Moscou souhaiterait qu’Astana, en appuyant les initiatives russes, leur donne davantage de poids», - a noté Amirzhan Kosanov.

A Astana on demande le calme Entre-temps, un employé de l’administration du président du Kazakhstan a affirmé que dans le cas de l’extradition d’Abliazov vers la Russie, le Kazakhstan parviendra à s’entendre avec la Fédération Russe non seulement sur la question du remboursement des fonds kazakhs détournés dans le cadre de l’affaire « Eurasie » mais aussi sur la question du retour de l’ex-banquier vers son pays. « Tout d’abord cet escroc purgera sa peine en Russie, ensuite nous nous en chargerons. Malgré tout il y a des limites », - a souligné le fonctionnaire kazakh.

Source: DW.de

L’auteur : Antoliy Weisskopf, Almaty

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