Le Monde: La France ne peut pas extrader l'opposant kazakh Abliazov
© mukhtarablyazov.org 05.02.2014

Garry KasparovNoël, pour certains, est une période propice aux miracles. Certains événements récents pourraient renforcer cette croyance : le renvoi à Rome d'Alma Shalabaïeva, l'épouse de l'opposant kazakh Moukhtar Abliazov Le Monde du 22 octobre 2013], le 27 décembre, semble être du nombre. Alma et sa fille de 6 ans ont été accueillies à bras ouverts par Emma Bonino, la ministre italienne des affaires étrangères, une personnalité pour laquelle l'expression droits de l'homme a un sens.

Mais ce retour s'est fait dans des conditions aussi improbables que l'avaient été leur arrestation arbitraire et leur expulsion sommaire en mai 2013, ourdies par des diplomates kazakhs à Rome, qui font aujourd'hui l'objet d'une plainte pénale. Et je ne crois pas aux miracles. Le cynisme du régime kazakh de Noursoultan Nazarbaev et de ses alliés, notamment à Moscou, fait craindre le pire pour celui qui fut déclaré prisonnier politique par Amnesty international il y a déjà plus de dix ans.

SES TORTIONNAIRES

Plus étonnant : la justice française, qui se prononcera le 9 janvier sur la demande d'extradition d'Abliazov vers ses tortionnaires assurés, se compromet avec les pires magistrats œuvrant depuis des années à l'ombre du Kremlin. Les documents d'extradition envoyés par les autorités russes ont été signés par les mains rouges du sang de Sergueï Magnitski, jeune avocat qui menait une lutte contre la corruption en Russie.

Qui sollicite la coopération de la France pour l'extradition de Moukhtar Abliazov ? Alexeï Krivoroutchko, le même « juge » russe qui est ciblé par le Congrès et l'administration américaine : il est sur une liste noire publiée en mars 2013 par la Maison Blanche, interdit d'accès au territoire américain, et tout avoir qu'il aurait aux Etats-Unis doit être gelé.

Ce même juge est connu pour avoir attaqué des figures de l'opposition russe, telles que le blogueur Alexeï Navalni. D'autres, impliqués dans le meurtre de Sergueï Magnitski, font partie de la cabale qui s'acharne contre Moukhtar Abliazov.

On leur reproche d'avoir caché la fraude dénoncée par Sergueï Magnitski, d'être complices dans le refus de soins médicaux au jeune avocat, dans sa mort en détention à la suite de tortures, et du procès posthume abject qui a conduit à une condamnation de Sergueï Magnitski, deux ans après sa mort.

Le 11 décembre 2013, le Parlement européen a voté en faveur d'une résolution pour établir une liste noire des responsables de la mort de Sergueï Magnitski, s'inspirant de celle des Etats-Unis mais s'appliquant dans l'Union européenne.

UN CRUEL MANQUE D'INFORMATION

L'avocate générale Solange Legras, en poste à Aix-en-Provence, ne semble pas informée de l'identité réelle de ses interlocuteurs, elle qui a choisi de mettre en priorité la demande d'extradition russe. Faire ce choix relève d'un cruel manque d'information.

Pourtant, cette avocate générale, lors de l'une de ses récentes plaidoiries, avait montré l'étendue de ses connaissances, en affirmant par exemple que Moukhtar Abliazov était « si immensément riche » qu'il avait tout simplement « acheté » les médias français, Le Monde et Libération en tête, mais aussi les associations de défense des droits de l'homme, comme Amnesty international et d'autres.

Sans doute sa richesse est-elle sans limite puisqu'elle lui aurait permis d'« acquérir » aussi le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, qui s'est prononcé en sa faveur ? Ou Emma Bonino, qui fut un temps commissaire européenne aux droits de l'homme ? Ou le barreau de Paris, qui a également exprimé son soutien à Moukhtar Abliazov ? Qui d'autre encore ?

Alors que la stratégie d'Astana , mais aussi de Moscou consiste à renforcer la lutte contre les libertés civiques en interne, tout en faisant quelques « cadeaux » symboliques aux médias occidentaux, comment la justice française pourrait-elle se compromettre avec ceux-là mêmes qui ignorent les principes fondamentaux dont la France, pays des droits de l'homme, comme aime à le répéter Laurent Fabius, s'est fait le chantre depuis plus de deux siècles ?

Réponse le 9 janvier, à la cour d'appel d'Aix-en-Provence !

 

Le Monde - Garry Kasparov (Ancien champion d'échecs et opposant politique russe)

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