Kasparov au sujet du procès d’Ablyazov dans « Libération »
© mukhtarablyazov.org 07.11.2014

Le légendaire champion d’échecs célèbre et opposant politique, Garry Kasparov, s’est prononcé au sujet du procès de Moukhtar Ablyazov pour le quotidien « Libération ».

- L’esprit de Poutine était présent dans le tribunal de Lyon. L’avocat général s’est couvert de honte en ignorant le meurtre de Sergiey Magnitski dans une prison russe.

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GARRY KASPAROV CHAMPION DU MONDE D’ÉCHECS, MILITANT DES DROITS DE L’HOMME 6 NOVEMBRE 2014 

L'ancien champion d'échecs et figure de l'opposition russe Gary Kasparov venu apporter son soutien à la femme et la fille du kazakh Moukhtar Abliazov au tribunal de Lyon le 17 octobre 2014.  

TRIBUNE

La salle de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Lyon, où s’est déroulée, le 24 octobre, l’audience d’extradition de Moukhtar Abliazov, était certes beaucoup plus élégante que la salle d’audience minable de Moscou où une pâle imitation de la justice russe a été rendue à Mikhaïl Khodorkovski et aux Pussy Riot. Mais l’esprit de Vladimir Poutine était aussi manifestement présent à Lyon qu’à Moscou, et le résultat s’en est trouvé honteusement similaire.

Les juges de la cour de Lyon ont décidé d’extrader l’homme d’affaires kazakh persécuté vers la Russie, en présumant le respect du droit européen par les Russes au lieu de reconnaître la vérité pourtant flagrante qu’il n’y a de loi en Russie que celle de Poutine.

J’ai assisté à l’audience à Lyon, avec deux autres Russes qui ont personnellement vécu l’expérience du système judiciaire de Poutine, dans l’espoir de témoigner à quel point il était sans espoir qu’Abliazov puisse bénéficier d’un procès équitable à Moscou. Mais nous n’avons pas été autorisés à témoigner, et bien que je ne puisse me permettre de spéculer sur les intentions ou les motivations des juges lyonnais, cela constitue clairement un cas de corruption morale. C’est une insulte aux nombreux prisonniers politiques russes passés et présents de prétendre que les tribunaux russes agissent autrement que comme le bras armé de la dictature de Poutine.

Pour avoir commis le crime de soutenir l’opposition à un dictateur, en l’espèce, le puissant président kazakh, Noursoultan Nazarbaïev, Moukhtar Abliazov est persécuté depuis 2002 et bien au-delà des frontières de son pays natal. Noursoultan Nazarbaïev est au pouvoir depuis 1989 et n’a eu de cesse de combattre toute opposition ou critique à son règne. Au-delà des nombreux traits communs à tous les dictateurs, Nazarbaïev a quelques problèmes non résolus avec Poutine, et Abliazov représenterait une monnaie d’échange très utile dans ces jeux de pouvoir. Cette raison et le désir de soutirer son argent à Abliazov sont les grandes motivations de l’intérêt du régime de Poutine dans l’affaire.

J’ai été rejoint à Lyon par Lev Ponomarev, le célèbre militant russe des droits de l’homme et fondateur de Memorial, qui ne cesse de lutter contre la répression de Vladimir Poutine à l’égard de la société civile. Etait également avec nous Mark Feygin, avocat et, comme Lev Ponomarev, ancien membre du Parlement russe. Mark Feygin a représenté le groupe Pussy Riot, entre autres. Il a été directement témoin de la nature purement politique du système de justice de la Russie, et témoin aussi des problèmes qu’Abliazov rencontre pour obtenir un procès équitable à Moscou. Nous voulions, tous les trois, témoigner devant la cour française des risques auxquels Abliazov serait confronté s’il était envoyé en Russie.

Cette affaire rappelle le cas Magnitski. Sept des juges, enquêteurs et collaborateurs responsables de l’enquête pénale russe concernant l’opposant kazakh, figurent sur la liste dite «Magnitski» établie aux Etats-Unis pour leur implication dans l’emprisonnement injustifié et l’assassinat en détention de Sergueï Magnitski, l’avocat dénonciateur de corruption dont le nom est devenu un symbole de la brutalité du régime de Vladimir Poutine. Le Parlement européen a reconnu le caractère horrible et politique de la mort de Magnitski. Et pourtant, à Lyon, l’avocat général s’est couvert de honte en qualifiant le cas Magnitski d’affaire fabriquée par des escrocs, «inventée par des personnes poursuivies par les tribunaux russes» ! On se serait cru au tribunal Basmanny de Moscou, et non plus en France.

Les procureurs russes n’ont transmis aucune pièce à conviction à Lyon - même s’ils affirment avoir une salle remplie de cartons de documents concernant cette affaire - sous le prétexte que la cour n’en avait pas demandé. Comme dans les tribunaux de Poutine, les preuves ne sont pas nécessaires et les témoins de la défense sont bannis. Malgré toutes les preuves du contraire, l’Europe prétend toujours croire que la Russie joue selon les mêmes règles et devrait se voir accorder les mêmes droits et privilèges que les partenaires démocratiques. L’année dernière, un juge italien a approuvé, à la hâte, l’arrestation et l’expulsion, vers le Kazakhstan, de la femme et de la fillette d’Abliazov. Elles ont depuis été libérées et bénéficient du statut de réfugié en Italie, où la Cour suprême de cassation, dans l’embarras, a qualifié leur extradition de «manifestement illégitime».

Nous osons espérer le même résultat quand l’affaire de Moukhtar Abliazov sera examinée par la Cour de cassation en France. Si ce pays ne voit aucun obstacle à remettre un dissident politique entre les mains de Poutine, son sang et sa liberté seront alors sur ses mains. Les conditions de liberté et d’égalité seront peut-être satisfaites au regard de certaines dispositions de la loi d’extradition. Mais lorsqu’il s’agit de fraternité avec la Russie de Poutine, c’est aux lois supérieures de la morale, de la justice et des droits de l’homme que nous devons d’abord obéir.

Source: www.liberation.fr

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