«Les notices abusives d'Interpol n'ont pas seulement des effets dévastateurs sur les personnes ciblées, mais menacent l'efficacité d'Interpol elle-même», a déclaré Jago Russell, le directeur de Fair Trials International. Dans un rapport paru en novembre, cette ONG anglaise qui milite pour le droit à un procès équitable à travers le monde, s'alarme du recours abusif des «notices rouges» d'Interpol à des fins politiques, rapporte Lyon Capitale . En 2008, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés avait déjà souligné les risques d'instrumentalisation politique de ces avis de recherche internationaux. Ces notices, qui s'appuient sur des mandats d'arrêt ou des décisions de justice du pays concerné, ont augmenté de 160% en l'espace de quatre ans. Leur nombre est passé de 3126 en 2008 à 8132 en 2012.
La «notice rouge» est considérée par Interpol comme l'«un des outils les plus puissants pour poursuivre des fugitifs internationaux». Ce document, diffusé à travers ses 190 pays membres, permet l'interception de fugitifs sur la base de n'importe quel contrôle à des fins d'extradition. Selon l'article 3 du statut de l'organisation, son action se restreint à «toute activité ou intervention dans des questions ou affaires présentant un caractère politique, militaire, religieux ou racial est rigoureusement interdite à l'Organisation». De plus, l'intervention d'Interpol doit s'établir «dans l'esprit de la Déclaration universelle des droits de l'homme», précise l'article 2 de l'organisation.
Or, selon Fair Trials International, le règlement encadrant l'action d'Interpol est loin d'être respecté. L'ONG estime que des régimes autoritaires, comme la Biélorussie, l'Iran, la Turquie ou encore la Russie, ont des recours excessifs aux «notices rouges». Pour ces pays, le système d'Interpol est devenu un outil idéal pour arrêter, menacer et faire extrader des opposants politiques, des militants des droits de l'homme et des journalistes. L'ONG cite l'exemple de Petr Silaev, un activiste russe de 28 ans, sous le coup d'une «notice rouge» diffusée l'année dernière par Interpol à la demande de Moscou. Emprisonné neuf jours pour «hooliganisme» puis bloqué six mois en Espagne, la justice espagnole a finalement refusé son extradition en Russie, justifiant que le mandat d'arrêt relevait de prétextes politiques.
Open Dialog Foundation, une ONG basée à Varsovie, a souligné des dérives similaires dans un rapport publié en septembre. Selon l'ONG, le Kazakhstan utilise l'organisation pour faire extrader l'entourage de l'opposant politique Moukhtar Abliazov. Les ONG demandent une réforme du système de notices et réclament également la création d'un organe indépendant, en plus de la commission de contrôle des fichiers, qui est un organe juridique interne ne possédant qu'un rôle consultatif.
«Des groupes d'intérêt trouvent commode d'attaquer Interpol»
«En réalité, chaque pays membre d'Interpol décide seul des suites à donner à la demande d'arrestation formulée par un autre pays au moyen d'une notice rouge, explique Rachael Billington, attachée de presse principale chez Interpol. Si, par exemple, un pays membre considére qu'il ne convient pas de tenir compte des demandes de notices rouges émanant d'un certain pays, il peut toutes les rejeter et en supprimer toute mention dans les bases de données concernées, poursuit-elle. Des groupes d'intérêt trouvent commode d'attaquer Interpol en sachant pertinemment que pas un seul pays membre, ni l'Union européenne ni aucun autre groupe de pays, n'a jamais décidé qu'il fallait toujours donner suite aux notices rouges publiées à la demande de tel ou tel pays», précise Rachael Billington.
Le 26 novembre, des députés européens ont adressé une lettre à la Commission européenne afin d'obtenir l' «établissement d'un groupe de travail d'experts pour examiner plus en détail l'abus d'Interpol à des fins politiques». La Commission s'est engagée à examiner des mesures pour renforcer les mécanismes de l'organisation.