Respublika: Accord secret des Procureurs ukrainiens avec Astana
Le 3 juin 2014 ont eu lieu deux audiences, qui concernaient directement Moukhtar Abliazov, l'homme d'affaires et politicien d'opposition le plus connu au Kazakhstan. La première audience a reçu une bonne presse au Kazakhstan et au delà de ses frontières, mais la seconde est restée inaperçue. Et cela est bien dommage.
L'ironie est que la seule et même question a été l'objet des deux audiences — le droit des avocats du cabinet Winston & Strawn LLP de participer aux audiences de l’affaire concernant l'extradition d'Abliazov de France. La première session a eu lieu à Lyon, la seconde — à Kiev. Et comme résultat, deux décisions opposées ont été rendues.
Parlons-en plus en détails.
La Cour d’Appel de Lyon a décidé que les représentants de l'Ukraine et de la Russie seraient admis au procès qui aura lieu cet automne, où sera examinée la demande d’extradition de Moukhtar Abliazov, mais ils n'auront pas accès au dossier de l’enquête et ils ne pourront rien y ajouter.
Mais si la Russie est représentée à l’audience de Lyon par le Parquet Général, la situation est différente avec l’Ukraine. Grâce au bureau du Procureur Général de l'Ukraine, qui ne s'est pas opposé à ce que les avocats de Winston & Strawn LLP représentent les autorités ukrainiennes à Lyon, cette structure privée a été autorisée à participer aux audiences.
Nous avons déjà expliqué aux lecteurs comment et pourquoi cette décision, non seulement illégale, mais anticonstitutionnelle, a été prise pour la première fois. Elle est due, notamment, aux liens existant entre le premier ministre du Kazakhstan et Sergey Pashinskiy, chef de l'administration du président de l'Ukraine par interim, qui avait fait avancer les demandes d'Astana. A présent, celui-ci (Pashinskiy?) est démis de ses fonctions.
Rappelons brièvement les évènements. En décembre 2013, lors de la préparation des débats judiciaires au sujet de l'extradition de Moukhtar Abliazov dans la ville d’Aix-en-Provence (France), deux nouveaux participants ont fait leur apparition : les avocats français Gilles Bigot et Guillaume Faure, qui ont déclaré qu’ils représentaient les intérêts de l'Ukraine dans ce procès. Pour prouver leur mandat, ils ont présenté le document, intitulé « Autorisation de se présenter au Tribunal », signé par le juge d’instruction ukrainien Maxime Melnik.
Par ce document, Melnik autorisait le cabinet d'avocats W&S à participer à toutes les audiences de la Cour d’Appel d'Aix-en-Provence concernant l'examen de la demande d’extradition de Moukhtar Abliazov. Le document a été communiqué au Ministère de la Justice français par l'ambassade de l'Ukraine en France. Cette démarche aurait pu paraître solide et convaincante, si ce n’est un « détail insignifiant » : le document n'a aucune valeur juridique selon la législation ukrainienne.
En effet, selon l’article 26 de la loi ukrainienne, c’est le Parquet Général qui prend les décisions sur toutes les questions prévues pas les accords internationaux, dans le cadre de l'entraide judiciaire mutuelle, y compris pour les questions d'extradition. Et l'article 52 de cette loi établit la seule et unique source de financement des organes du Parquet Général — le budget public de l'Ukraine.
Par conséquent, selon les actes législatifs indiqués, l’Etat de l'Ukraine ne peut faire appel à des services juridiques qu’après avoir effectué les actions suivantes :
- Le Parquet Général de l’Ukraine (PGU) doit s’adresser au Ministère de la Justice de l'Ukraine (MJU) au sujet de la nécessité de demander des services juridiques de la part d’une société juridique privée ;
- Le MJU doit déterminer si le budget peut accorder des moyens pour les buts indiqués;
- Le MJU doit déterminer la hauteur des dépenses pour le paiement d’un tel service ;
- Le MJU doit signer un contrat d’offre de services avec la société juridique ;
- Le Parquet doit envoyer à la Cour de l’autre Etat l’avis écrit donnant le mandat de représenter l’Ukraine dans le procès à la société juridique correspondante.
En réalité le schéma s’est avéré complètement différent. Dans sa lettre, la compagnie « Iliachev et Partenaires », engagée par la banque kazakhe « BTA », a demandé que des juristes de l’autre pays (c’est à dire, des français) participent à l’affaire Abliazov. « Iliachev et Partenaires » a proposé au PGU un scénario suivant lequel ces juristes allaient offrir leurs services à l’Etat de l’Ukraine sans être payés par le budget public de l’Ukraine. Il est clair qu’un tel scénario n’était pas admissible.
Par conséquent, la seconde Cour — le tribunal de l’arrondissement de Pecherskiy de la ville de Kiev — a qualifié d’illégales les actions du juge d’instruction Melnik concernant l’autorisation des avocats privés, représentant la banque BTA, à se présenter au Tribunal, et a considéré que cette « Autorisation » était nulle.
Ainsi la Cour a décrété : « Annuler «l’ Autorisation de se présenter au Tribunal » du 18.11.2013 №12/2-7446, délivrée au cabinet d'avocats « W & S SELARL », agissant par ses partenaires, Maître Gilles Bigot et Maître Guillaume-Denis Faure — les avocats du barreau de Paris, signée et transmise par des voies diplomatiques par l'ambassade de l'Ukraine en France au Ministère de la justice français par le juge d’instruction du Service chargé des enquêtes de la Direction Générale du Ministère des affaires intérieures de l'Ukraine à Kiev Melnik Maxime Vladimirovich dans le cadre de l'enquête de l’affaire pénale du №12012110000000147".
Comme la Cour d’Appel de Lyon a rendu son avis concernant l'accès des avocats privés à l’audience en se basant sur cette « Autorisation » du juge d’instruction Melnik, datée du 18 novembre 2013, il s'avère que le même jour dans deux Tribunaux différents ont été rendues deux décisions opposées qui s’annulent l’une l’autre. Et si l’une de ces décisions n’est pas modifiée, la décision de la future audience dans l’affaire de l’extradition de Moukhtar Abliazov sera automatiquement illégale. Les agents du Parquet de Kiev et du Parquet Général sont arrivés à l’audience pour représenter les intérêts de l’Ukraine et leur position sur le refus de satisfaire la plainte de la défense d'Abliazov. Mais le juge d’instruction Melnik lui-même, dont le document a été annulé, n’était pas présent à l’audience. Trop timide ?
Cependant, le grand scandale, déclenché après la publication de la correspondance entre le juge d’instruction ukrainien et les avocats qui travaillent pour la banque kazakhe BTA, et qui s’est fait connaître bien au-delà des limites de la république, n’a rien appris aux nouvelles autorités ukrainiennes.
Comme on a appris récemment, la banque kazakhe BTA, par le biais de l’avocat de « Iliachev et Partenaires », et le bureau du procureur, ont fait appel à la décision du Tribunal de Kiev. Apparemment, Karim Masimov, qui a assisté à la place de Nazarbaïev à l’inauguration du nouveau chef de l’Ukraine, a réussi à trouver une entente pour l’affaire de Moukhtar Abliazov lors des rencontres bilatérales à Kiev, y compris avec Arseni Yatsenyuk, le Premier ministre par interim.
Il semble que les nouvelles autorités ukrainiennes ne puissent lutter que contre leurs propres dissidents et leurs insurgés mais pas contre la Russie, le Kremlin et Vladimir Poutine. Ils n’arrivent pas à résister à la pression de la part des autres états de CEI (Communauté des Etats Indépendants), en particulier du Kazakhstan.
Par conséquent, il ne nous reste qu’à poser deux questions : en premier lieu, pourquoi les nouvelles autorités ukrainiennes veulent à ce point satisfaire les souhaits d'Akorda par rapport aux plus important et dangereux adversaires politiques de Noursoultan Nazarbaïev et deuxièmement, pourquoi elles se permettent de violer la Constitution et les lois de l'Ukraine, surtout si cela se fait dans l'intérêt d’un dirigeant autoritaire — l'allié de Vladimir Poutine.
Source: Respublika-kaz.info
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- Amnesty: Il ne faut pas qu'un dissident kazakh qui risque d'etre torture soit extrade (.png, 0.77 MB)
- Declaration Le Bureau International des Droits de l’Homme et du Respect de la Légalité au Kazakhstan (.pdf, 0.26 MB)