L’Espresso: Moukhtar Abliazov: «Ils veulent me tuer»
© mukhtarablyazov.org 16.06.2014

Le dissident accorde sa première interview où il dévoile : le régime kazakh a promis à l’Italie des transactions commerciales en échange de l’arrestation de ses proches. 

C’est la première fois que Moukhtar Ablyazov, un ancien oligarque kazakh âgé de 51 ans, a pris la parole depuis son arrestation. Il accuse la Russie, gouvernée par Poutine, qui soutient le Kazakhstan dans ses tentatives de le reconduire vers son pays natal. Son opposant historique, le dictateur Noursoultan Nazarbaïev, l’attend impatiemment au Kazakhstan, où il lui prépare un accueil qui ne sera certainement pas chaleureux. Ablyazov est devenu célèbre en Italie suite à l’expulsion précipitée de son épouse, Alma Shalabayeva, et de sa fille Alua, dont l’affaire a provoqué des débats houleux à l’encontre du ministre de l’Intérieur, Angelino Alfano. Ablyazov a été arrêté l’été dernier à proximité de Grasse, sur la Côte d’Azur en France ; et il est actuellement détenu dans la prison de Corbas, près de Lyon. L’interview a été menée par courriels durant les dernières semaines. 

Monsieur Ablyazov, le mandat d’arrêt émis par Interpol qui a conduit à votre arrestation en France était demandé par la Russie et l’Ukraine en 2009. Sur quelles accusations ces deux pays se basent ?

« A cette époque, la Russie et l’Ukraine étaient alliées avec le Kazakhstan concernant la demande personnelle de Nazarbaïev. Lorsque je résidais en Grande Bretagne de 2009 à 2012, ces mandats d’arrêt ont été ignorés. De l’autre côté, le mandat français a décidé l’année dernière de mon arrestation. Les Français, par contre, ont pris la décision de m’arrêter l’année dernière. La vérité est simplement que la Russie, par des recours abusifs à Interpol, essaie de provoquer mon extradition. Le Kazakhstan et la Russie (et jusqu’à présent l’Ukraine) sont des alliés pour éliminer les opposants politiques. Je ne suis pas un criminel et une chose est certaine : si je suis extradé vers le Kazakhstan, je n’aurai même pas l’espoir d’avoir un procès honnête ». 

Vous avez demandé à être placé dans une cellule individuelle du fait que vous craignez pour votre vie. Qu’est-ce qui vous fait croire que dans une prison française, vous êtes en danger ?

« Selon mes avocats, il serait très facile de se faire tuer en prison dans un « accident ». Ils savent que le régime kazakh fonctionne totalement en dehors de toute légalité. Mes conseillers m’ont expliqué que ce serait simple et relativement bon marché pour le régime s’il commanditait mon assassinat en prison, peut-être par l’entremise d’un autre prisonnier ».

Pourquoi le système juridique français ne vous accorde pas une garde-à-vue ?

« Le Service de la Police Métropolitaine de Londres m’a alerté officiellement d’un complot de nature politique qui visait à m’enlever et à m’assassiner. Les diplomates kazakhs à Rome ont enlevé ma femme et ma fille, qui avaient été auparavant traquées par des détectives privés israéliens et italiens. Une enquête criminelle a été lancée en Suisse lorsqu’on a découvert que ma fille aînée Madina et sa famille avaient été suivis illégalement par des agences de détectives privés. De ce fait et pour une bonne raison, les autorités françaises craignent que si elles me libèrent, un ‘accident’ pourrait se produire sur le territoire français ». 

Avez-vous pu rencontrer votre épouse et votre fille dans la prison française ?

« Oui, à l’occasion du retour d’Alma et Alua à Rome le 27 décembre 2013, elles m’ont fait une surprise et sont venues me voir en prison le 31 décembre ». 

Vous avez sévèrement critiqué le gouvernement italien après que votre femme et votre fille ont été expulsées de l’Italie. A l’heure actuelle, alors qu’elles sont toutes les deux de retour à Rome, quelle est votre opinion sur l’Italie ?

« La ministre de l’Extérieur de l’époque, Emma Bonino, a reconnu la vérité et a adopté une position courageuse au sein de son gouvernement. Notre famille a envers elle une profonde dette de reconnaissance ». 

Est-ce qu’en fait, à l’origine, il y a eu des pressions exercées par le Kazakhstan sur l’Italie au niveau politique, ou économique, ou les deux?

« Je connais la façon d’agir du régime kazakh. Le Kazakhstan est l’une des plus riches dictatures du monde. Dans le but de me poursuivre, le régime a plusieurs fois exercé une pression sur des leaders occidentaux au niveau politique, en leur promettant des contrats commerciaux importants en échange de ma capture et de mon extradition. Le régime kazakh utilise également des businessmen puissants pour qu’ils exercent une pression sur les hommes politiques de l’Occident afin qu’ils adoptent une position amicale vis-à-vis du dictateur. Je n’ai aucune raison de croire que leur façon d’agir était différente dans le cas de l’opération qui a conduit à l’extradition de ma femme et de ma fille hors de l’Italie ». 

Le bruit court que lors de votre arrestation vous étiez en compagnie d’une amante.

« J’étais avec ma sœur et ma nièce au moment de mon arrestation. Les sources kazakhes ont également informé les autorités françaises, comme elles l’ont fait en Italie, que j’avais à ma disposition une milice armée qui me suivait partout. J’ai été arrêté par des forces spéciales équipées de mitrailleuses et d’un hélicoptère. Ils ont trouvé un homme en short, devant son ordinateur, une femme et une petite fille en vacances. Le régime a tué mes alliés politiques, il m’a emprisonné, m’a torturé presque à mort et a déclenché contre moi une des plus coûteuses batailles légales de l’histoire, basée sur des mensonges et de fausses preuves, dans le but de me ruiner financièrement et physiquement. Ils ont également essayé de détruire ma réputation et de tourner ma famille contre moi. Cependant, par ses tentatives de me détruire, le régime a seulement rendu notre famille plus forte ». 

Vous avez eu affaire avec les systèmes judiciaires anglais, français et italien. Auquel d’entre eux faites-vous le plus confiance en ce moment même ?

« Il semble que le Kazakhstan soit capable de manipuler les systèmes judiciaires européens, qui sont fondés sur la confiance au sein du réseau de coopération internationale, et le Kazakhstan s’efforce de se présenter en tant que pays apparemment digne de confiance. Cependant, avec l’enlèvement de ma femme et ma fille en Italie, le masque du régime kazakh est tombé. Actuellement, l’Italie se trouve dans une meilleure situation que tout autre pays pour comprendre la face réelle du régime kazakh. Les autres sont encore en train d’apprendre. 

Onze ans entre la prison et les procès

Devant les tribunaux, d’abord kazakhs, puis anglais et finalement français, les accusations contre Moukhtar Ablyazov ont toujours été de nature financière et fiscale. La vérité est que le système judiciaire du pays asiatique – dirigé d’une main de fer depuis 1989 par Noursoultan Nazarbaïev – le poursuit uniquement pour des raisons politiques. L’ex-banquier et ministre de l’Energie était le leader et le sponsor du mouvement d’opposition ‘Alga !’. Selon des organisations de défense des droits de l’homme, comme la fondation « Dialogue Ouvert », Amnesty International et Human Rights, les représailles infligées par le satrape Nazarbaïev à ses opposants politiques, y compris les tortures, sont une pratique largement répandue au Kazakhstan. Si les pays occidentaux n’autorisent pas l’extradition vers le Kazakhstan, le régime recourt aux mandats d’arrêt diffusé par Interpol via des pays alliés, comme la Russie, en tant que ‘solution provisoire’. Ablyazov a été emprisonné dans son pays natal en 2003, après avoir été accusé de corruption. Dans le même temps, A ce moment là, le Département d’Etat des Etats-Unis, l’Organisation de la Coopération et du Développement Economiques (OCDE) et le Parlement Européen ont estimé qu’Ablyazov devait être reconnu comme un prisonnier politique et ont décrit son procès comme une farce.

Après son retour au Kazakhstan en 2005, le banquier et homme politique a été accusé d’avoir détourné 6 millions de dollars d’une banque dont il était en charge, la banque BTA. En 2011, il a obtenu l’asile politique en Grande Bretagne où, en 2012, il a été condamné pour délits fiscaux à 22 mois de prison. Dès son arrestation en France en 2012, il mène une bataille judiciaire pour ne pas être extradé vers la Russie. La décision de la cour d’Aix-en-Provence en faveur de son extradition a été annulée en avril par la cour de cassation, qui a ordonné qu’un nouveau procès soit mené à Lyon. Ablyazov fera tout pour ne pas retourner – via la Russie – dans les prisons du Kazakhstan où, dans le passé, il a subi de très mauvais traitements. Il craint qu’il n’en ressorte pas vivant, s’il devait un jour s’y retrouver encore une fois.

Source: L’Espresso
Author: Maurizio Maggi 

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